Constitution Apostolique

PROVIDAS

[Confirmation de condamnation de la société dite des Francs-Maçons
et des autres sociétés secrètes]

du pape Benoît XIV

18 mars 1752

 

Benoît Évêque. Serviteur des Serviteurs de Dieu. Pour en conserver le perpétuel souvenir.

Des raisons justes et graves Nous engagent à fortifier de nouveau de Notre autorité, et à confirmer les sages lois et sanctions des Pontifes Romains Nos prédécesseurs, non seulement celles que Nous craignons pouvoir être affaiblies ou anéanties par le laps de temps ou la négligence des hommes, mais encore celles qui ont été récemment mises en vigueur et sont en pleine force.

1. Clément XII, d'heureuse mémoire, Notre prédécesseur, par sa Lettre Apostolique, datée du IV des calendes de mai, l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur M. DCC. XXXVIII, de son Pontificat le VIIIe, et adressée à tous les fidèles de Jésus Christ, qui commence par ces mots: In eminenti a condamné et défendu à perpétuité certaines sociétés, assemblées, réunions, conventicules ou agrégations appelées vulgairement de Francs-Maçons ou autrement, répandues alors dans certains pays, et s'établissant de jour en jour avec plus d'étendue; défendant à tous les fidèles de Jésus Christ, et à chacun en particulier sous peine d'excommunication à encourir par le fait et sans autre déclaration, de laquelle personne ne peut être absous par autre que par le Souverain Pontife existant pour lors, excepté à l'article de la mort, d'oser ou présumer entrer dans ces sociétés, ou les propager, les entretenir, les recevoir chez soi, les cacher, y être inscrit, agrégé, ou y assister, et autrement, comme il est exprimé plus au long dans ladite Lettre.

Clément, évêque, Serviteur des Serviteurs de Dieu. A tous les fidèles de Jésus-Christ salut et Bénédiction Apostolique.

Élevé par la Providence divine au plus haut degré de l'apostolat, tout indigne que nous en sommes, d'après le devoir de la surveillance pastorale qui nous est confiée, Nous avons, constamment secondé par la grâce divine, porté notre attention avec tout le zèle de notre sollicitude, sur ce qui, en fermant l'entrée aux erreurs et aux vices, peut servir à conserver surtout l'intégrité de la religion orthodoxe, et aà bannir du monde catholique, dans ces temps si difficiles, les dangers de troubles.

Nous avons appris même par la renommée publique, qu'il se répand au loin, chaque jour avec de nouveaux progrès, certaines sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules, nommés vulgairement de Francs-Maçons ou sous autre dénomination selon la variété des langues, dans lesquels des hommes de toute religion et de toute secte, affectant une apparence d'honnêteté naturelle, se lient entre eux par un pacte aussi étroit qu'impénétrable, d'après des lois et des statuts qu'ils se sont faits, et s'engagent par serment prêté sur la Bible, et sous des peines graves, a cacher par un silence inviolable tout ce qu'ils font dans l'obscurité du secret. Mais comme telle est la nature du crime qu'il se trahit lui-même, jette des cris qui le font découvrir et le dénoncent, les sociétés ou conventicules susdits ont fait naître de si forts soupçons dans les esprits des fidêles, que s'enrôler dans ces sociétés c'est, près des personnes de probité et de prudence, s'entacher de la marque de perversion et de méchanceté; car s'ils ne faisaient point de mal, ils ne haïraient pas ainsi la lumière; et ce soupçon s'est tellement accru que, dans plusieurs États, ces dites sociétés ont été déjà depuis longtemps proscrites et bannies comme contraires à la sûreté des royaumes.

C'est pourquoi, Nous, réfléchissant sur les grands maux qui résultent ordinairement de ces sortes de sociétés ou conventicules, non seulement pour la tranquillité des États temporels, mais encore pour le salut des âmes, et que par là elles ne peuvent nullement s'accorder avec les lois civiles et canoniques; et comme les oracles divins Nous font un devoir de veiller nuit et jour en fidèle et prudent serviteur de la famille du Seigneur; pour que ce genre d'hommes, tels que des voleurs, n'enfoncent la maison, et tels que des renards, ne travaillent à démolir la vigne, ne pervertissent le cour des simples, et ne les percent dans le secret de leurs dards envenimés; pour fermer la voie très large qui de là pourrait s'ouvrir aux iniquités qui se commettraient impunément, et pour d'autres causes justes et raisonnables à Nous connues, de l'avis de plusieurs de nos vénérables frères Cardinaux de la sainte Église romaine, et de notre propre mouvement, de science certaine, d'après mûre délibération et de Notre plein pouvoir apostolique, Nous avons conclu et décrété de condamner et de défendre ces dites sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules appelés de Francs-Maçons, ou connus sous toute autre dénomination, comme Nous les condamnons et les défendons par Notre présente constitution valable à perpétuité.

C'est pourquoi, Nous défendons sérieusement et en vertu de la sainte obéissance, à tous et à chacun des fideles de Jésus-Christ, de quelque état, grade, condition, rang, dignité et prééminence qu'ils soient, laiques ou clercs, séculiers ou réguliers, méritant même une mention particulière, d'oser ou de présumer, sous quelque prétexte, sous quelque couleur que ce soit, d'entrer dans les dites sociétés de Francs-Maçons ou autrement appelées, ou de les propager, les entretenir, les recevoir chez soi; ou de leur donner asile ailleurs et les cacher, y être inscrits, agrégés, y assister ou leur donner le pouvoir et les moyens de s'assembler, leur fournir quelque chose, leur donner conseil, secours ou faveur ouvertement ou secrètement, directement ou indirectement, par soi ou par d'autres, de quelque maniere que ce soit, comme aussi d'exhorter les autres, les provoquer, les engager a se faire inscrire a ces sortes de sociétés, a s'en faire membres, a y assister, a les aider et entretenir de quelque manière que ce soit, ou leur conseiller: et Nous leur ordonnons absolument de s'abstenir tout a fait de ces sociétés, assemblées, réunions, agrégations ou conventicules, et cela sous peine d'excommunication à encourir par tous, comme dessus, contrevenants, par le fait et sans autre déclaration, de laquelle nul ne peut recevoir le bienfait de l'absolution par autre que par Nous, ou le Pontife Romain alors existant, si ce n'est à l'article de la mort.

Voulons de plus et mandons que tant les Évêques et Prélats supérieurs, et autres Ordinaires des lieux, que tous Inquisiteurs de l'hérésie, fassent information et procèdent contre les transgresseurs, de quelque état, grade, condition, rang, dignité ou prééminence qu'ils soient, les répriment et les punissent des peines méritées, comme fortement suspects d'hérésie; car Nous leur donnons, et à chacun d'eux, la libre faculté d'informer et de procéder contre lesdits transgresseurs, de les réprimer et punir des peines qu'ils méritent, en invoquant même à cet effet, s'il le faut, le secours du bras séculier.

Nous voulons aussi qu'on ajoute aux copies des présentes, même imprimées, signées de la main d'un notaire public, et scellées du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, la même foi que l'on ajouterait aux présentes, si elles étaient représentées ou montrées en original.

Qu'il ne soit permis à aucun homme d'enfreindre ou de contrarier, par une entreprise téméraire, cette Bulle de notre déclaration, condamnation, mandement, prohibition et interdiction. Si quelqu'un ose y attenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu Tout-Puissant, et des bienheureux apôtres S. Pierre et S. Paul.

Donné a Rome, près Sainte-Marie Majeure, l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur M. DCC. XXXVIII, le IV des Calendes de Mai, la VIIIe année de Notre Pontificat.

3. Mais comme il s'en est trouvé, ainsi que Nous l'apprenons, qui n'ont pas craint d'assurer et de publier que ladite peine d'excommunication portée par Notre prédécesseur comme dessus, ne frappe plus, parce que la constitution précitée n'a pas été confirmée par Nous, comme si la confirmation expresse du Pape successeur était requise pour que des constitutions apostoliques données par un Pape prédécesseur subsistent;

4. Et comme aussi quelques hommes pieux et craignant Dieu Nous ont insinué que, pour ôter tous les subterfuges des calomniateurs et pour déclarer l'uniformité de Notre intention avec la volonté de Notre prédécesseur, il serait fort expédient d'ajouter le suffrage de Notre confirmation à la constitution de Notre susdit prédécesseur.

5. Nous, quoique jusqu'à présent, lorsque Nous avons, surtout pendant l'année du jubilé, et souvent auparavant, accordé bénignement l'absolution de l'excommunication encourue, à plusieurs fidèles de Jésus Christ, vraiment repentants et contrits d'avoir violé les lois de la susdite constitution, et promettant de tout leur coeur de se retirer entièrement de ces sociétés ou conventicules condamnés, et de ne jamais y retourner dans la suite; et lorsque Nous avons communiqué aux pénitenciers par Nous députés, la faculté de pouvoir donner en Notre nom et autorité la même absolution à ces sortes de pénitents qui recourraient à eux; lorsqu'aussi Nous n'avons pas négligé de presser avec sollicitude et vigilance les juges et tribunaux compétents à procéder contre les violateurs de ladite constitution, selon la mesure du délit, ce qu'ils ont fait en effet souvent, Nous ayons donné par là des arguments non seulement probables, mais entièrement évidents et indubitables, d'où on devait assez clairement conclure Nos sentiments et Notre ferme et délibérée volonté à l'égard de la force et vigueur de la censure portée par Notre dit prédécesseur Clément, comme il est rapporté ci-dessus; et que, si l'on publiait une opinion contraire sur Notre compte, Nous pourrions la mépriser avec sécurité, et abandonner Notre cause au juste jugement du Dieu Tout Puissant, Nous servant de ces mots dont il est constant qu'on s'est servi autrefois dans les saints mystères: "Faites, nous vous en prions, Seigneur, que nous ne nous souciions pas des contradictions des esprits méchants ; mais méprisant cette méchanceté, nous vous prions de ne pas permettre que nous soyons épouvantés par les critiques injustes, ou enlacés par des adulations insidieuses, mais plutôt que nous aimions ce que vous commandez", comme il se trouve dans un ancien Missel, attribué à S. Gélase Notre prédécesseur et publié par le vénérable serviteur de Dieu Joseph-Marie Thomasius Cardinal, dans la messe intitulée Contra obloquentes.

6. Cependant, pour qu'on ne puisse pas dire que Nous ayons omis imprudemment quelque chose, qui pût facilement ôter toute ressource et fermer la bouche au mensonge et à la calomnie, Nous, de l'avis de plusieurs de Nos Vénérables Frères les Cardinaux de la Sainte Église Romaine, avons décrété de confirmer par les présentes, la susdite constitution de Notre prédécesseur, insérée mot à mot, dans la forme spécifique, qui est la plus ample et la plus efficace de toutes, comme Nous la confirmons, corroborons, renouvelons de science certaine et de la plénitude de Notre autorité apostolique, par la teneur des présentes, en tout et pour tout, comme si elle était publiée de Notre propre mouvement, de Notre propre autorité, en Notre propre nom, pour la première fois ; voulons et statuons qu'elle ait force et efficacité à toujours.

7. Or, parmi les causes très graves de la susdite prohibition et condamnation, exprimées dans la constitution rapportée ci-dessus, la première est que, dans ces sortes de sociétés ou conventicules, il se réunit des hommes de toute religion et de toute secte; d'où l'on voit assez quel mal peut en résulter pour la pureté de la religion catholique. La seconde est le pacte étroit et impénétrable du secret, en vertu duquel se cache tout ce qui se fait dans ces conventicules, auxquels on peut avec raison appliquer cette sentence de Cæcilius Natalis rapportée dans Minucius Felix, dans une cause bien différente: Les bonnes choses aiment toujours la publicité, les crimes se couvrent du secret. La troisième est le serment qu'ils font de garder inviolablement ce secret, comme s'il était permis à quelqu'un de s'appuyer sur le prétexte d'une promesse ou d'un serment, pour ne pas être tenu, s'il est interrogé par la puissance légitime, d'avouer tout ce qu'on lui demande afin de connaître s'il ne se fait rien dans ces conventicules qui soit contre l'État et les lois de la religion ou du gouvernement. La quatrième est, que ces sociétés ne sont pas moins reconnues contraires aux lois civiles qu'aux lois canoniques ; puisque tous collèges, toutes sociétés, rassemblées sous l'autorité publique, sont défendues par le droit civil, comme on le voit au Livre XLVII des Pandectes, titre XXII de collegiis ac corporibus illicitis; et dans la fameuse lettre de C. Plinius Caecilius Secundus, qui est la XCVII, liv. X, où il dit que, par son édit, selon les ordonnances de l'empereur, il a été défendu qu'il pût se former et exister des sociétés et des rassemblements sans l'autorité du prince. La cinquième, que déjà dans plusieurs pays lesdites sociétés et agrégations ont été proscrites et bannies par les lois des princes séculiers. La dernière enfin est que ces sociétés sont en mauvaise réputation chez les personnes de prudence et de probité, et que s'y enrôler serait se souiller de la tache de perversion et de méchanceté.

8. Enfin, Notre dit prédécesseur engage, dans la constitution rapportée ci-dessus, les Évêques, les Prélats supérieurs, et autres Ordinaires des lieux, à ne pas omettre d'invoquer le secours du bras séculier, s'il le faut, pour la mettre à exécution.

9. Toutes et chacune de ces choses non seulement Nous approuvons, confirmons, recommandons et enjoignons aux mêmes Supérieurs ecclésiastiques ; mais encore Nous personnellement, en vertu du devoir de Notre sollicitude apostolique, invoquons par Nos présentes lettres, et requérons de tout notre zèle, à l'effet de leur exécution, l'assistance et le secours de tous les princes et de toutes les puissances séculières catholiques, les souverains et les puissances étant choisis de Dieu pour être les défenseurs de la foi et les protecteurs de l'Église; et par conséquent, leur devoir étant d'employer tous les moyens pour faire rendre l'obéissance et l'observation dues aux constitutions apostoliques ; ce que leur ont rappelé les Pères du Concile de Trente, sess. 25, chap. 20; et ce qu'avait fortement auparavant bien déclaré l'empereur Charlemagne dans ses Capitulaires, tit. 1, chap 2. où, après avoir prescrit à tous ses sujets l'observation des ordonnances ecclésiastiques, il ajouta ce qui suit: Car nous ne pouvons concevoir comment peuvent nous être fidèles ceux qui se sont montrés infidèles à Dieu et à ses prêtres. C'est pourquoi, enjoignant aux présidents et ministres de tous ses domaines, d'obliger tous et chacun en particulier à rendre aux lois de l'Église l'obéissance qui leur est due, il édicta des peines très sévères contre ceux qui y manqueraient. Voici entre autres ses paroles: Ceux qui en ceci (ce qu'à Dieu ne plaise!) seront trouvés négligents et désobéissants, qu'ils sachent qu'il n'y a plus d'honneurs pour eux dans notre empire, fussent-ils même nos enfants, plus de place dans nos palais, plus de société ni de communication avec nous ni les nôtres, mais ils seront sévèrement punis.

10. Nous voulons qu'on ajoute aux copies des présentes même imprimées, signées de la main d'un notaire public, et scellées du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, la même foi que l'on ajouterait aux présentes, si elles étaient représentées et montrées en original.

11. Qu'il ne soit donc permis à aucun homme d'enfreindre ou de contrarier, par une entreprise téméraire, cette Bulle de Notre confirmation, rénovation, approbation, commission, invocation, réquisition, décret et volonté. Si quelqu'un est assez téméraire pour le tenter, qu'il sache qu'il encourra l'indignation du Dieu Tout-Puissant et des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul.

Donné à Rome, près Sainte-Marie-Majeure, l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur M. DCC. LI, le XV des Calendes d'avril, la XIe année de Notre Pontificat.